Pour une vision positive de la Suisse du XXIème siècle
Un texte publié dans l'ouvrage de Rémy Cosandey "Le peuple des moutons" publié en septembre 2011 par les Editions G-d'encre
Le projet politique de l’Union démocratique du centre (UDC) est celui du renfermement sur soi, de la fermeture au monde et du refus du progrès. L’extrême-droite fait ainsi miroiter à ses électeurs un glorieux passé de traditions bien helvétiques dont l’imagerie réduit national n’a en réalité jamais vraiment existé. Au-delà des clichés, l’UDC a surtout construit son discours autour de la xénophobie et du racisme. En cela, le parti applique le principe décrit par Enzo Traverso1 de « construction symbolique de l’ennemi – inventé en tant que figure négative – visant à satisfaire une quête identitaire, un désir d’appartenance, un besoin de sécurité et de protection. » Les mutations profondes et violentes qui bouleversent nos sociétés depuis quelques décennies (mondialisation, globalisation économique, nouvelles technologies, etc.) ont permis d’ancrer ce discours de repli auprès de toutes celles et ceux qui n’ont pas été préparés et n’ont pas su s’adapter2. Autant les solutions proposées par l’UDC sont simplistes, autant il est aisé de comprendre les préoccupations de ceux qui y souscrivent. Le reste de l’échiquier politique n’a d’ailleurs pas tardé à emboîter le pas aux populistes. Lors des élections fédérales de 2011, tous les autres partis ou presque, utiliseront le symbole national – la marque Suisse® – en mettant en avant des prétendues traditions dont ils seraient les dépositaires forcément légitimes (et surtout plus légitimes que les autres).
Au-delà du fait que l’UDC pourra à nouveau claironner qu’il faut préférer l’original à la pâle copie, ce virage électoral devrait interroger toutes celles et ceux qui s’intéressent à la politique3. En premier lieu parce qu’à gauche comme à droite, cette posture valorise l’opposition à toute forme de mutations de la société et surtout, réveille les discours sur le thème de tout allait mieux avant. Or, comme le souligne Jean-Claude Guillebaud4 à propos de l’évolution du monde, « chaque mutation […] porte en elle, intimement mêlés, le meilleur et le pire. » Le changement peut désarmer – en particulier à la vitesse à laquelle nous le vivons aujourd’hui. Il est toutefois malheureux que le politique s’enferme dans cette posture de facilité qui consiste à rejeter purement et simplement ces mutations.
Face à cette tendance, le monde politique doit porter un projet résolument tourné vers l’extérieur, vers l’avenir et vers le progrès, en particulier social. D’abord parce que tout ne va pas aussi mal que veulent nous le faire croire ceux qui freinent. Dans Das Magazin, Thomas Kessler5 le dit simplement « L’excitation [des politiques devant les mutations] contraste avec les faits : dans les rankings sur la force économique, l’innovation et la qualité de vie, la Suisse et ses villes sont aux premières places. Depuis l’introduction de la libre circulation des personnes en 2002, 286’300 nouvelles places de travail (équivalents plein temps) ont été créées, la consommation augmente, l’emprise au sol par personne augmente depuis de décennies pour atteindre presque 50 m2 ; dans les villes où sévit un soi-disant stress lié à la densité, vivent aujourd’hui moins de personnes qu’en 1970 – et 50% sont des foyers à une seule personne. Le chômage est bas, le ménage de l’Etat solide. Les pauvres se portent mieux qu’en 1990. Selon « le rapport social suisse 2011 », ils dépensent aujourd’hui proportionnellement moins pour leur logement et ont plus à disposition pour leur voiture et leur mobilité. » S’il est vrai que ces constats s’appliquent mieux à Zurich que dans le canton de Neuchâtel, reste que le politique, de quel bord qu’il soit, capitalise aujourd’hui sur la peur et l’envie de montrer qu’aujourd’hui tout est moins bien qu’il y a une génération, alors que tout porte à croire que ceci est faux, tout simplement.
Le monde politique ne peut pas non plus se permettre le luxe de laisser faire. Guillebaud a raison, les mutations ont aussi en elles une part de pire. Si nous prenons comme exemple la globalisation économique, d’un côté le simple fait de remettre en question ce qui passe pour un dogme est une preuve d’archaïsme, alors que dans l’autre camp c’est exactement l’inverse, imaginer une seule seconde y entrevoir des aspects positifs passe déjà pour une compromission. Ainsi, certaines des évolutions décrites par Kessler sont à notre avis inquiétantes parce qu’elles montrent un train de vie qui n’est pas durable. De là à rejeter en bloc son analyse, il y a un pas que nous ne franchirons pas, parce que cette posture ne permet pas de rassurer ceux qui sont dépassés et d’offrir les clés pour comprendre et s’adapter à ces mutations.
Il est temps que le monde politique analyse le présent et se tourne vers l’avenir. Il est temps qu’il dresse un inventaire, si possible le plus objectif possible, des changements en cours et de leurs conséquences sur la vie des gens, ici comme ailleurs. Un observatoire des mutations6 ne serait ainsi pas un luxe pour guider un monde politique souvent trop obnubilé par des échéances électorales et des programmes aux contenus souvent trop électoralistes. Les mutations profondes que traversent notre société doivent être accompagnées par une politique positive et explicative, seule à même de donner les clés pour comprendre et s’adapter. Ce n’est pas encore un programme politique, mais c’est un état d’esprit qu’il faut cultiver pour barrer la route aux populistes qui sont aujourd’hui debout sur le frein et qui risquent bien de nous envoyer dans le fossé.
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Enzo Traverso. 2011. La fabrique de la haine : Xénophobie et racisme en Europe. Revue Contretemps n°9 ↩
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Reste également une incohérence de taille : l’UDC est un parti dont la politique économique est néolibérale et opposée à l’Etat providence – seul sans doute à pouvoir accompagner les profondes mutations sociales qu’impliquent par exemple la globalisation économique. ↩
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D’ailleurs partout en Europe, la Suisse n’étant de loin pas une exception. ↩
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Jean-Claude Guillebaud. 2011. La Vie vivante. Editions des Arènes, Paris ↩
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Thomas Kessler. 2011. Heil dir Hysteria. Das Magazin n°22 (4 juin 2011) ↩
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Par exemple à travers un Programme national de recherche. ↩