Transrun et H20? Chut, en parler nuit gravement à la santé du débat politique!
Il y a des jours où je ne devrais pas ouvrir le journal, pas lire mes mails et encore moins parler de politique. Hier et aujourd'hui furent de ceux-ci. Or donc, le 9 juin, l'ATE sort un communiqué de presse qui dit tout haut ce que, comme d'autres, je pense (et dit lorsque j'en ai l'occasion) depuis un bout de temps : le transrun et la H20 ne sont pas des projets complémentaires sur le plan technique, ils le sont parce que le monde politique l'a un jour décidé ainsi - et ceci d'ailleurs indépendamment de leurs défauts ou de leurs qualités. A l'appui de son communiqué, l'ATE reprend les résultats d'un travail de mémoire effectué dans le cadre d'un stage au sein du Service cantonal des transports et comptant pour l'obtention d'un Master en politique et management publique décerné par l'IDHEAP. Jusque-là, rien qui justifie l'énervement.
Sauf que dans la presse locale de ce samedi matin, le journaliste est allé s'enquérir de l'avis du chef du Service des ponts et chaussées. Et là, ça part en cacahouètes. Au lieu de s'en tenir aux faits, ce monsieur s'est donc permis de démonter purement et simplement le travail de l'étudiante, en égratignant au passage sévèrement l'IDHEAP (qui jusqu'à nouvel avis n'est pas un institut universitaire de seconde zone). Morceaux choisis:
«J’ai parcouru cette étude. C’est un tissu d’imprécisions. Une catastrophe!». Plus loin «Cette jeune femme avait tellement d’a priori qu’elle n’a pas été capable d’appréhender le sujet». Et finalement, à propos de l'IDHEAP, «Cet institut traite les processus décisionnels, pas la complémentarité des projets. Cette étudiante s’est penchée sur la manière dont les décisions sont prises, par sur le fond.» Et je vous épargne le passage sur la soi-disant «malhonnêteté intellectuelle» du travail (ou de l'étudiante, cet élément étant laissé à l'appréciation du lecteur). Ambiance.
Au-delà du mauvais goût, la réaction outrancière démontre en premier lieu la justesse du propos de l'étudiante, et le commentaire du journaliste accentue encore cette impression. Le transrun et la H20, respectivement un concept cantonal de transports publics (un RER neuchâtelois) et une autoroute qui permettra avant tout de traverser les montagnes neuchâteloises à cent à l'heure (et concrétisera ce vieux rêve qui permettra à quiconque le désire de traverser le canton de Neuchâtel... sans voir le canton de Neuchâtel) n'ont techniquement en commun qu'une seule chose : ils coûteront grosso modo 900 millions de francs chacun. Le fait que la H20 permettra de désengorger les villes des Montagnes neuchâteloises (pour autant qu'après avoir construit les évitements, on ait encore le courage politique et les moyens financiers de prendre des mesures dans les centres-ville) et que le TransRUN concrétisera un peu plus le rêve d'un canton plus uni, ne change rien à l'absence de complémentarité technique. La complémentarité des projets est politico-administrative, elle est un choix raisonné qui a été justifié a posteriori par une étude commandée et payée au bureau Transitec.
Et bon, de même que le TCS ne s'est récemment pas gêné d'allumer sévèrement le TransRUN en proposant d'étudier le percement d'un second tube routier sous la Vue-de-Alpes (personne n'est d'ailleurs allé s'enquérir de l'avis du chef des transports dans ce cas précis), l'ATE a finalement le droit de remettre très justement au centre du débat le fait que l'évitement des villes du Locle et de La Chaux-de-Fonds - s'il permettra sans doute de désengorger les centres-ville - atténuera clairement le potentiel de transfert modal de la voiture sur le train voulu par le TransRUN. Pas de quoi fouetter un chat, nous étions jusque-là dans le débat d'idée - enfin, jusqu'à ce qu'un chef de service s'en mêle.
Mais voilà, en grand adepte de la théorie du complot, j'ai de la peine à me défaire de l'idée que tout ça n'est pas anodin. Le 23 mai 2011, le Conseil d'Etat, dans sa grande sagesse, a accepté deux rapports H20, pour des crédits complémentaires avec presque 9 millions de francs au compteur. Il y a d'une part 2,87 millions pour des études sur le tracé entre le Col-des-Roches et le Crêt-du-Locle et d'autre part 6 millions pour l'achat de terrains. Oui, vous avez bien lu, c'est la première tranche de la dot du canton dans le cadre du mariage avec dame Confédération et son potentiel milliard de francs de béton bien armé. Première tranche parce qu'il y a du potentiel : environ 14 millions supplémentaires. Pour un canton qui n'a paraît-il pas un rond, dépenser 20 millions pour offrir des terrains francs d'opposition à l'OFROU, c'est... intéressant (surtout que c'est un pari risqué, rien ne dit en effet que la Confédération reprendra le bébé-qui-valait-un-(bon gros)-milliard simplement parce que toutes les oppositions ont été levées !)
Ben voilà, maintenant on comprend mieux pourquoi tout le monde s'excite à l'approche des vacances d'été. Mais comme on est entre adultes, on prendra j'espère le temps de discuter tout ça de manière constructive plutôt que de la jouer guerre de tranchées. Et pendant que nous y sommes, pourquoi pas relancer le projet de fusion des services des transports et des ponts et chaussées (qui n'est pas nouveau mais qui au moins donnerait du sens à la complémentarité entre le TransRUN et le H20) ? C'est d'ailleurs la conclusion du travail de mémoire de l'étudiante. Comme quoi il est intellectuellement honnête. Et comme quoi vous pouvez continuer à vous inscrire les yeux fermés à l'IDHEAP!
PS : La boucle vient donc de se boucler. Les députés ont reçu le texte du travail de mémoire pour qu'il se fasse une idée et moi, je me suis calmé en écrivant ces lignes. Restent les questions sur le devoir de réserves des fonctionnaires auxquelles le Conseil d'Etat devra répondre dans deux semaines.