Et si on réformait vraiment l'économie?

La problématique du franc fort doit être inscrite dans un cadre beaucoup plus large. Elle interpelle sur le système économique et financier actuel et sur notre capacité à pouvoir le réformer démocratiquement pour le rendre plus stable, plus égalitaire et plus social. La situation actuelle est principalement liée à la valeur refuge qu'est le franc suisse lorsque toutes les autres devises présentent des risques trop élevés. Mais cette situation est surtout due à des éléments spéculatifs. Quelque part dans le monde, des personnes et des institutions parient sur le renforcement ou la chute de notre économie. La BNS ne peut donc rien faire d'autre que de prendre des mesures qui mettent notre économie encore plus en péril dans le but de décourager, si possible seulement psychologiquement, les spéculateurs d'utiliser notre monnaie pour protéger leurs investissements. L'intervention ratée de la semaine dernière est là pour nous le rappeler : notre banque centrale est indépendante et elle fait ce qu'elle juge juste, mais ces décisions ont un coût pour l'ensemble du pays. Le non-paiement des dividendes dus aux cantons par la BNS conduira par exemple à des coupes importantes dans les budgets, en particulier dans ceux du domaine social. Le ralentissement de notre économie consécutive au renforcement de notre monnaie viendra encore amplifier ce problème.

En décembre 2008, le Parlement et la BNS sauvaient l'UBS. La banque s'était sabotée elle-même en spéculant sur des objets financiers qui se sont révélés être toxiques. Elle n'était pas seule et c'est l'ensemble du système économique réel qui s'est effondré, avec comme conséquence immédiate le doublement du taux de chômage en Suisse. A l'époque, le sauvetage de la plus grande banque du pays s'est faite dans l'urgence et tout porte à croire que le peuple ne l'aurait pas cautionnée. Alors que notre économie s'en remet gentiment, le monde commence une nouvelle crise, liée cette fois-ci à la dette des Etats. Mais cette crise n'est pas due à l'incurie budgétaire des gouvernements comme veut nous le faire croire le FMI, elle est due au système financier mondialisé. Les banques françaises et allemandes qui ont financé la Grèce l'ont fait en connaissant les risques qu'ils prenaient. C’est pourtant la population va se saigner pour sauver les instituts financiers, leurs bonus et leurs bénéfices. Il est d'ailleurs piquant que la crise de la dette des Etats vienne conclure la plus grande opération de socialisation des déficits privés de l'histoire. En effet, entre 2008 et 2009, presque tous les Etats au monde ont largement renfloué les caisses de leurs institutions financières afin d'éviter une soi-disant faillite du système.

Suite à la crise des subprimes et au renflouement massif des banques par les Etats, la question de la réforme du système financier a été abordée ici et là, sans véritable succès. Le mal est connu, l'instabilité du système financier est largement liée à l'absence de régulation. Les remèdes existent : contrôle des taux de change, taxation des transactions boursières afin de freiner la spéculation, etc. Ceci ne sera toutefois pas suffisant si ne réformons pas plus largement le système économique. Depuis 20 ans que la Suisse vit avec un système "néolibéral", le taux de chômage a doublé dans le pays (1,5% au début des années 90 contre plus de 3% en moyenne nationale aujourd'hui) et les coûts de l'aide sociale ont explosé. Ces derniers ont été multipliés par 25 dans certains cantons. Ces chiffres sont la conséquence d'un système économique qui a détruit des centaines de milliers d'emplois et creusé les inégalités. Les indignés d'Espagne, les émeutiers en Angleterre ou les manifestants grecques sont autant d'indicateurs de ces changements.

Combien de crises faudra-t-il encore pour qu'enfin nous soyons capable de mettre un terme à la mainmise de la finance sur l'ensemble de l'économie et sur nos démocraties ? La crise du franc fort et celle de la dette des Etats ne doivent pas être réglées à coup de demies mesures, elles doivent permettre de remettre en question l'ensemble de notre fonctionnement économique.

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