Forages à Neuchâtel? Non merci!
Le Grand Conseil a accepté ce matin deux propositions visant à interdire, ou décréter un moratoire, sur l'extraction de gaz "de schiste" dans le canton de Neuchâtel. Les textes ont été acceptés sans débat. Je n'ai donc pas pu dire tout le mal que je pensais du forage.
En préambule, nous souhaitons rappeler que le canton de Neuchâtel s’est donné comme but dans sa Loi sur l’énergie la société à 2000 watts à l’horizon 2050. La société à 2000 watts, c’est une diminution de deux tiers environ de notre consommation d’énergie globale, et l’approvisionnement de plus grande partie de celle-ci à travers des sources renouvelables, dont le gaz ne fait pas partie.
En deuxième préambule, rappelons que le Val-de-Travers fournit en eau potable les habitants des communes du Val-de-Travers (sources en amont du site de forage), mais plus largement ceux des Villes de La Chaux-de-Fonds et de Neuchâtel (à 85%) et de nombreuses communes à divers degrés (Corcelles, Rochefort, Peseux, Hauterive, Saint-Blaise, Marin, Cornaux et Cressier, Brot-dessus, dessous, Les Ponts-de-Martel et La Sagne, etc.) Ce sont près de 7 milliards de litres d’eau qui alimentent deux tiers de notre population. Le Jura est une région karstique : son sous-sol est extrêmement instable et très difficile à modéliser, encore plus en ce qui concerne les aquifères. Ce n’est donc pas le meilleur endroit pour jouer avec un des défis majeurs du 21ème siècle. La richesse du sous-sol du Val-de-Travers, ce n’est pas l’or noir, c’est l’or bleu !
Il faut ensuite revenir dans le temps pour remettre en perspective le dossier sur le forage et la question de savoir si nous devons interdire – ou décréter un moratoire – sur la prospection et l’exploitation de gaz non conventionnel (le gaz de schiste n’est qu’une facette d’une problématique plus large, et nous préférons parler de gaz non conventionnelle, ou de ressources non conventionnelles, dont l’extraction se fait par exemple par la méthode de fracturation hydraulique, ou de stimulation). En septembre 2010, notre Conseil a voté un décret autorisant l’exploitation de gaz – en cas de découverte – à la société Celtique Energie. Notre groupe avait à déjà majoritairement contesté à l’époque la légalité du décret vis-à-vis de la Loi sur les mines et carrières, parce que selon notre lecture, le forage exploratoire ne donne pas forcément un droit à l’exploitation, mais uniquement à un remboursement des engagements par le nouvel exploitant en cas de changement. Reste qu’une majorité de notre Conseil l’a accepté. Sur ce point encore, nous n’adhérons d’ailleurs pas à la vision du Conseil d’Etat qui estime que le décret empêche en lui-même l’exploitation de ressources non conventionnelles. Nous lisons simplement que L’octroi, en cas de découverte, d’une concession d’exploitation d’hydrocarbures, propriété de l’Etat de Neuchâtel, à la société Celtique Energie Neuchâtel SA, est admis dans son principe. Le rapport indique d’ailleurs d’autres pistes que l’extraction d’hydrocarbures, par exemple le stockage de gaz dans les couches de sel, sans que le décret en fasse explicitement mention. Quelques mois après le vote sur le décret – en février 2011 – nous avons déposé au Grand Conseil une question qui demandait au Conseil d’Etat de clarifier la méthode d’extraction qui serait utilisée en cas d’exploitation commerciale du gisement de Noiraigue. La réponse du Conseil d’Etat était simplement que cette question n’avait pas été abordée. Abandonné, puis déterré, le projet de forage est aujourd’hui dans sa phase concrète d’autorisation, et la proposition du Conseil général du Val-de-Travers, et du motionnaire, vient donc à point nommé – en réaction dirons-nous – même s’il ne s’intéresse qu’à une seule facette d’un problème plus large.
Nous avons eu connaissance dès le mois de juin d’informations confidentielles de la société Celtique Energie. Ces documents destinés aux investisseurs ne vantent pas seulement la possibilité d’exploiter du gaz conventionnel sous le Val-de-Travers, mais également du gaz de schiste – pas seulement à Noiraigue d’ailleurs, mais sur l’ensemble de la région. Celtique estime qu’il faudra jusqu’à 10 puits pour exploiter le gisement du Cygne blanc. Les documents indiquent en réalité que les quantités de gaz de schiste pourraient être supérieures aux ressources conventionnelles et pourrait donc être une plus-value intéressante pour les investisseurs. Ailleurs en Suisse, des autorisations de forage pour du gaz libre ont déjà été octroyées. C’est le cas par exemple à Noville dans le canton de Vaud. Le forage exploratoire a montré que le gaz n’était pas simplement exploitable (tight gas) et qu’il fallait recourir à la méthode de fracturation hydraulique. Aujourd’hui, le forage ne produit rien, et l’entreprise Petrosvibri tente d’obtenir une autorisation de stimulation alors que le canton de Vaud a décrété un moratoire (comme Fribourg, ou comme le fera sans doute Genève rapidement).
Nous pourrions imaginer que le même scénario se déroule à Noiraigue. Le coût d’un forage (environ 16 millions de francs) se doit d’être rentabilisé et nous devons donc être vigilants pour indiquer clairement, avant même un forage initial que nous ne souhaitons pas d’extraction non conventionnelle. Celtique Energie dit aujourd’hui ne pas vouloir faire de fracturation hydraulique, mais qu’en sera-t-il demain ? Nous devons agir aujourd’hui pour demander une interdiction de ces pratiques. Il faudra être vigilant dans la phase initiale, un forage conventionnel ne signifie pas forcément qu’il n’y aura pas de stimulation, pas de fracturation hydraulique. A Novillle, lors des demandes initiales, pour une extraction « conventionnelle », Petrosvibri indiquait que les phases de test du forage incluaient « la stimulation et la fracturation ». Qu’en-est-il à Noiraigue, qu’en sera-t-il après le forage soi-disant propre ? Nous craignons ainsi que Celtique ne veuille pas attendre que le gaz remonte tranquillement les deux kilomètres du puits, mais veuille accélérer ces remontées, en stimulant et fracturant.
Aux Etats-Unis, où des milliers de puits ont été creusés ces dernières années, les problèmes sanitaires sont énormes: des études scientifiques ont démontré qu’il n’existe quasiment aucun puits de forage non conventionnel où les nappes phréatiques ne sont pas polluées. Il faut rappeler que la fracturation hydraulique utilise des millions de litres d’eau et des centaines de litres d’additifs divers et variés et pour la plupart toxiques. Ces eaux polluées ne remontent pas forcément à la surface et sont donc des sources de pollution graves, incontrôlables, pour des dizaines d’années, y compris après la fin du forage. Contrairement à ce que disent les promoteurs, ils n’existent pas de fracturation hydraulique propre dans la recherche de gaz : la pollution principale constatée aux Etats-Unis n’est pas liée aux additifs toxiques, mais simplement au gaz extrait. L’altération des couches géologiques fait circuler les eaux et le gaz et engendrent des pollutions. Sur ce point, nous souhaitons encore indiquer que la géothermie à grande profondeur utilise la méthode de fracturation. Mais contrairement à la recherche de gaz, elle n’utilise le plus souvent que de l’eau, et le risque de pollution est bien inférieur, puisqu’il n’y a pas de gaz à mélanger à l’eau !
Une dernière chose : Celtique Energie, comme toutes les autres compagnies pétrolières, font miroite des retombées économiques importantes pour la région. En dehors de l’imposition, en termes d’emplois, celles-ci seront toutefois très faibles. Une étude française a ainsi démontré que le boom étasunien en termes d’emploi est lié principalement à l’ouverture de nouveaux puits de fracturation (8 par jour environ) et pas à l’exploitation lorsque le puits est foré, en particulier pour des forages conventionnels. Pour notre région donc, à moins de vouloir forer de manière déraisonnable, les retombées seront très faibles en terme d’emploi – les dégâts d’image seront par contre importants, sans parler des risques pour nos réserves et notre approvisionnement en eau potable.
Pour toutes ces raisons, je vous demande d’accepter les deux propositions, en particulier celle de la commune du Val-de-Travers qui va plus loin en demandant clairement l’interdiction de l’extraction de gaz par fracturation hydraulique.