Au secours, Bill Gates veut nourrir la planète
Les grandes entreprises se doivent d'afficher une fibre écologique et sociale, du moins de façade. Pour l'écologie, le greenwashing permet de planquer des pratiques peu respectueuses de l'environnement derrière une fine couche de verni garanti bio. En matière sociale, les transnationales font de même, elles paient une entreprise qui certifient que "promis, nos sous-traitants n'emploient que des adultes qui travaillent dans des conditions décentes." Mais oui. Et pour faire avaler ces grossiers mensonges à ceux qu'ils n'exploitent pas directement (moi, et sans doute vous) une bonne dose de brainwashing s'impose.
Au WEF depuis l'année dernière, les grandes entreprises de l'agrobusiness font encore mieux : elles veulent carrément sauver la paysannerie et nourrir la planète à travers "A new vision for agriculture." Une vision qui doit permettre de parvenir à une "croissance agricole durable par le biais de solutions basées sur le marché." Vu la brochette d'entreprises qui soutiennent l'initiative (Monsanto, Syngenta, Coca-Cola, Pepsi, Heineken, Nestlé, etc.), on peut décemment se permettre d'émettre quelques réserves quant au caractère philanthropique de la démarche. D'ailleurs, le fait que Bill Gates en soit l'ambassadeur n'arrange rien...
Comme le rappelle Catherine Morand (Swissaid) dans Le Courrier de samedi, l'arrivée des grands noms de l'agroalimentaire dans les pays émergents, en particulier en Afrique, n'est jamais bonne : les "paysans chassés de leurs terres [cèdent] la place à des monocultures industrielles, des agrocarburants, avec un maximum d'engrais et de pesticides chimiques." Niveau "nouvelle vision durable" , on a vu mieux ! Et comme le montre le départ pour des cieux plus cléments de la division plantes transgéniques de BASF, il reste des terres vierges à conquérir, surtout pour le biens des actionnaires.
Dans Domaine Public, Frederico Franchini indique à juste titre que si la Révolution verte (1960-80) avait comme objectif "d'augmenter la production alimentaire en Asie et Amérique latine" , l'augmentation s'est "concentrée sur les monocultures d'exportation et n'a pas contribué à résoudre les problèmes alimentaires." Ce qui explique par exemple que l'Argentine soit un des plus grands producteurs de blé, de soja et de boeuf au monde, mais que malgré tout plus d'un enfant sur 10 y souffre de malnutrition.
Des solutions existent pour soutenir la paysannerie et mettre fin aux problèmes d'alimentation. Fin décembre, un communiqué d'Uniterre rappelait que la souveraineté alimentaire prend en compte "l'ensemble des facteurs économiques, environnementaux, sociaux et culturels pour garantir à long terme un système agricole et alimentaire durable, de la semence à l’assiette" , au Nord comme au Sud. Le concept est simple : les produits alimentaires doivent être soustraits à la loi des marchés mondialisés et à la spéculation. Les pays doivent pouvoir protéger leur agriculture contre les importations à bas prix, souvent soutenues par des subventions à l'exportation. L'accès a la terre doit être garanti, de même que la protection (et le soutien) des semences adaptées aux conditions locales.
Ces principes vont cependant à l'encontre des préceptes de l'OMC prêchés au WEF, et vous ne les entendrez donc pas dans les salons feutrés de Davos, parce qu'ils ne rapportent pas un centime aux actionnaires de Monsanto, Pepsi, Coca-Cola ou Nestlé.