Lettre à un industriel de la région sur la fiscalité
Les députés des Montagnes neuchâteloises ont reçu il y a quelques jours une lettre d'un industriel de la région (dont je tairai le nom) leur demandant de donner suite au projet du Conseil d'Etat sur la fiscalité des entreprises. Les arguments sont ceux d'un industriel, que je respecte par ailleurs pour les emplois qu'il offre et le travail qu'il fait, mais je ne peux m'empêcher de ne pas y souscrire et d'y répondre.
Cher Monsieur,
Je vous remercie pour votre courrier. Le travail que vous faites, et à travers lui les emplois que vous créez, sont d'une importance capitale pour les Montagnes neuchâteloises et l'ensemble du canton. Je peux souscrire à vos arguments dans une certaine mesure, mais j'aimerais évoquer quelques points, qui j'espère, vous feront réfléchir.
Le canton de Neuchâtel a utilisé depuis la crise horlogère des années 70 les allégements fiscaux (partiels ou totaux) comme instrument majeur de sa politique de promotion économique. Il a sans aucun doute été le canton de Suisse qui en a fait l'usage le plus étendu, au point qu'en 2010, une part importante de la masse imposable n'est tout simplement pas taxée (environ la moitié des 2 milliards de bénéfices que génèrent les entreprises de la région). Cette situation n'est plus tenable à l'intérieur du canton pour des raisons d'équité (seuls les entreprises des districts des Montagnes et du Val-de-Travers peuvent bénéficier d'allégements) et parce que ceci péjore notre situation par rapport à la péréquation fédérale (RPT). A l'extérieur du canton, cette situation n'est plus tenable non plus, en particulier vis-à-vis des autres cantons et de l'Union Européenne.
Il est donc grand temps de mettre un terme au régime des allégements fiscaux pratiqué dans notre canton. Mais doit-on pour autant en profiter pour baisser l'imposition des personnes morales au niveau proposé par le Conseil d'Etat ? Si je peux comprendre la position d'un industriel sur ce point, j'aimerais toutefois ajouter quelques éléments qui me semblent importants.
Les entreprises comme la vôtre ne sont pas uniquement en terre neuchâteloise parce que la fiscalité y est (ou sera) attractive. Elles y sont parce que son tissu industriel, son histoire, les compétences de ses habitants et ses infrastructures sont intéressants. Or, les deux derniers points, les compétences et les infrastructures, demandent à l'État des moyens financiers pour être développés ou du moins pérennisés. La dette de l'État de Neuchâtel atteint environ 1.4 milliard. Lorsqu'il s'agira d'adopter le nouveau modèle comptable harmonisé (MCH2) à l'horizon 2015, celle-ci pourrait dépasser les 2 milliards. Avec une dette équivalente ou supérieure aux charges d'un exercice budgétaire, certaines institutions de prêt, institutionnelles ou non, pourraient être tentées de ne plus accorder leurs largesses au canton de Neuchâtel. Dans ces conditions, le financement des tâches essentielles dans les domaines de la formation, du social ou les investissements dans des infrastructures vitales comme le Transrun ne pourraient plus être assurés.
Que fera une industrie comme la vôtre lorsque le canton aura perdu la capacité d'innovation que lui apporte le savoir-faire de ses habitants et de ses entreprises, parce qu'il n'aura pas investi suffisamment dans la formation ? Que fera-t-elle lorsque les infrastructures se seront dégradées ou seront devenues obsolètes ?
Ces considérations me feront accepter la suppression des allègements fiscaux, mais me feront refuser de descendre le taux d'imposition au niveau que propose le Conseil d'Etat. Un taux progressif (pour des raisons d'équité), allant par exemple de 5% à 8% (proposition de notre groupe) ne permettrait certes pas au canton d'être meilleur de classe en Suisse, mais lui donnerait les moyens d'investir à l'avenir dans ses infrastructures comme dans son capital humain. Cette vision est à mon avis simplement plus durable que la fuite en avant que propose actuellement le Conseil d'Etat.
Sur la question des personnes physiques, j'aimerais encore ajouter que je préférerais largement que le Conseil d'Etat reprenne la question de manière globale, en s'attaquant tout particulièrement à la question de la classe moyenne.
En espérant avoir retenu votre attention, je vous prie d'agréer, Monsieur, mes salutations distinguées et vous souhaite une bonne continuation dans vos activités.